Clap de fin
Après trois ans et demi à relater l'actualité arbitrale en France et dans le Monde, j'ai décidé de mettre un terme au blog que j'animais avec passion. Voici pourquoi.
Robert Wurtz ou le génie inégalé
L'arbitrage a marqué ma vie. J'y ai noué des amitiés que je pensais solides. J'ai pris le sifflet dès l'âge de 15 ans sur les conseils de mon père Denis, mon premier supporter qui m'a conduit sur tous les terrains de Moselle et d'Alsace sur lesquels j'ai eu l'occasion d'évoluer. Je lui dois ma modeste carrière qui m'a permis de devenir jeune arbitre de Ligue en 2009. Lucide et connaissant parfaitement le monde du football, il m'a rapidement mis en garde sur le climat délétère qui entoure le milieu de l'arbitrage. Il ne s'est jamais trompé concernant la personnalité controversée de certains dirigeants de l'arbitrage. Loin de moi l'idée de régler mes comptes avec un milieu qui m'a apporté d'immenses satisfactions et réussites. Comme tant d'autres, j'ai décidé de raccrocher le sifflet en juin 2015, après huit années à assouvir une passion hors du commun : l'arbitrage. Comme beaucoup, je souhaiterai voir profondément changer ce système. Mais nous sommes trop seuls face à un pouvoir autocratique dirigé par l'argent et qui a oublié une notion fondamentale que doit représenter la fonction arbitrale : l'humain. Pour asseoir son pouvoir, la Direction de l'arbitrage a éliminé les forts en gueule et sont restés en place les béni-oui-oui, petits fonctionnaires du sifflet qui entrent sur le terrain comme on distribue le courrier.
Voici mon histoire.
En vase clos
En commençant l'arbitrage dès l'âge de 15 ans, l'ambition doit être un objectif sans omettre la notion de plaisir. Pour évoluer et gravir les échelons, j'ai tout mis en œuvre pour atteindre mon but : devenir jeune arbitre de Ligue. Et les contraintes étaient pourtant nombreuses. Suivre des formations théoriques à Metz et Forbach, participer aux séances d'entraînements organisées spécifiquement pour les arbitres à Grosbliederstroff. Dès mes débuts au sifflet, j'ai dû respecter un strict devoir de réserve et me soumettre à des "formateurs" qui pour certains savaient à peine que le ballon était rond. Ceux-là mêmes, qui n'ont jamais été capables de mener un match à leur terme dans de bonnes conditions et qui veulent vous faire de grands théorèmes sur l'arbitrage. La belle affaire. Je me rappellerai toujours de cet observateur, qui préside une sous-commission d'arbitrage dans le sud de la Moselle et qui m'avait interdit lors d'un match de Promotion d'Honneur à Nousseviller de consommer une boisson à la buvette du stade alors que le club local s'était largement imposé. De la distance toujours et encore. Ce même contrôleur exerce toujours et voue une haine féroce aux arbitres originaires du Pays de Bitche.
Un débat sur l'arbitrage qui a détruit mon parcours
En novembre 2011, je propose au comité de l'Entente Cristal et Fer, groupement rural dont je fais partie d'organiser un débat sur l'arbitrage au printemps 2012 en présence de plusieurs personnalités du monde du football. Le comité m'apporte à l'unanimité son soutien. Plusieurs sujets seront évoqués après la projection d'un film valorisant l'arbitrage. Joël Muller, Bernard Zénier, Patrick Barth, Alain Sars, Bruno Derrien et Laurent Stien répondent positivement à l'invitation. De quoi présenter un remarquable plateau d'invités. A cette époque, j'anime le site de l'amicale des arbitres de Moselle-Est. Quelques mois auparavant, j'avais accepté d'intégrer le comité de cette association. Grave erreur de ma part. Un soir de janvier 2012, alors qu'une réunion du comité a lieu à Forbach, j'ai le malheur d'apporter une affiche annonçant l'évènement. Autour de la table sont installés en grande majorité - pour ne pas dire en totalité - de fidèles vautrotistes. Alain Sars, conseiller technique régional en arbitrage d'alors et surtout farouche opposant de la politique de l'ancien directeur national de l'arbitrage et qui a été en procès avec celui-ci est indésirable à leurs yeux. Bruno Derrien, qui fait le déplacement depuis Paris est devenu persona non grata dans le microcosme de l'arbitrage après avoir fait paraître un livre qui raconte les coulisses de l'arbitrage français. Laurent Stien, une formidable personne aux qualités humaines rares accepte sans hésiter notre invitation. Il vient, un an auparavant d'obtenir son écusson international et a notamment fait équipe avec Stéphane Bré, ancien grand arbitre international qui m'a fait aimer l'arbitrage avec Robert Wurtz et Thierry Clément. Laurent Stien prend un risque énorme en prenant part à ce débat auquel participent des opposants fermes à la politique menée par sa hiérarchie. Je ne le remercierai jamais assez.
Ma carrière dans l'arbitrage vient de s'arrêter nette ce mercredi 11 avril 2012. J'ai 19 ans et une passion dévorante pour le football et l'arbitrage. J'aime organiser, prendre des initiatives, être force de proposition. Tout ce qui est contraire à la "grande" famille des arbitres. Ce débat fait l'objet d'un article dans le journal L'Equipe et France Football. Bruno Derrien l'évoque la veille dans l'émission Soir de Coupe sur Eurosport en présence notamment d'Olivier Dacourt, consultant de la chaîne. La soirée rencontre un grand succès et attire plus de 120 personnes. Mais pour les dirigeants de l'arbitrage, s'en est trop, beaucoup trop. J'ai osé inviter des personnalités issues du milieu de l'arbitrage qui s'en prennent ouvertement au sacro-saint système. J'ai droit à des menaces et représailles par l'intermédiaire des réseaux sociaux. "Tu ne devrais pas t'afficher avec Sars et Derrien. Ta carrière est en jeu", m'explique un arbitre assistant alors en activité. Je n'ai jamais eu de plan de carrière. C'est la passion qui m'a animée lorsque j'arbitrais.
Quand la CRA veut révoquer un arbitre assistant FIFA !
J'ai perdu mon père le 2 mars 2012 des suites d'une longue maladie. J'admire tout ce qu'il a accompli durant sa vie. Il n'a jamais compté son temps pour le football. Il m'en a transmis la passion. Pour lui rendre hommage, avec mon frère, nous organisons une journée en sa mémoire le samedi 20 juillet 2013 sur les installations du stade municipal de Lemberg. Mon père a été président du FC. Lemberg durant huit ans ainsi que joueur et dirigeant de l'AS. Meisenthal. Nous organisons un match entre les anciens du FC. Lemberg et de l'AS. Meisenthal. Un match arbitré par Joël Romang, Maire de Goetzenbruck, ancien arbitre de Ligue et une merveilleuse personne. Un match entre Epinal, alors en CFA et le club allemand de Zweibrücken, qui évolue au même échelon a lieu ensuite. Laurent Stien, dont j'ai fais la connaissance un an et demi auparavant lors du débat sur l'arbitrage à Goetzenbruck se propose pour arbitrer ce match dont les bénéfices sont reversés à une association qui lutte contre les maladies infantiles. C'est une formidable nouvelle. Comme précisé plus haut, Laurent Stien a obtenu son macaron FIFA quelques mois plutôt. Le jeudi 18 juillet 2013, il assiste Nicolas Rainville sur un match d'Europa League en Grèce qui oppose Xanthi au club nord-irlandais de Linfield. Il se retrouve 48 heures plus tard sur la pelouse du stade de Lemberg en compagnie de deux amis, Thierry Clément et Stéphane Scheffer qui ont le plaisir de l'assister.
Mais cette désignation a longtemps été compromise par la faute de la commission régionale d'arbitrage de l'époque. Quinze jours avant le match, son président ainsi que le secrétaire de désignations s'opposent formellement à ce que Laurent Stien dirige cette rencontre qui revient en principe à un jeune arbitre candidat fédéral. Les dirigeants de l'arbitrage régional, que je contacte m'expliquent qu'un arbitre assistant spécifique ne peut être désigné en qualité d'arbitre central. Je leur réponds qu'il s'agit d'un match en mémoire de mon père et à but caritatif. Ils ne veulent rien entendre. Le président de la CRA m'appelle pour évoquer le sujet. Après plusieurs minutes de discussion, il donne son accord pour officialiser la désignation de Laurent Stien. Un épisode lamentable qui en dit long sur l'égo surdimensionné de ces gens imbus de leur personne et totalement déconnectées. Quel milieu épouvantable.
Rétrogradé sans connaître mon classement
Après deux années passées au sifflet, je décide de me reconvertir comme arbitre assistant spécifique. Cette opportunité me permet d'arbitrer au-delà de l'arrondissement de Sarreguemines et de rencontrer de nouveaux clubs. En septembre 2014, alors affilié au FC. Metz en tant qu'arbitre, je propose au directeur du centre de formation d'organiser un débat à destination des joueuses et joueurs du centre. Robert Wurtz, surnommé le Nijinski du Sifflet répond favorablement à notre invitation tout comme Jean-Marc Rodolphe et Bruno Derrien. Cerise sur le gâteau, Carlo Molinari nous fait l'honneur de sa présence en début de soirée. Denis Balbir, journaliste sportif désormais sur M6 et RTL assure avec brio l'animation du débat. Six mois avant, l'arbitrage français vient de prendre une claque monumentale : aucun arbitre tricolore ne sera présent à la Coupe du Monde au Brésil. Une première depuis 1974 ! Un camouflet qui traduit une décennie d'opacité, de copinage, de clanisme, de clientélisme. La salle du centre de formation est comble. Nelly Viennot représente la Direction Technique de l'arbitrage. Alors que j'arbitre toujours, les instances arbitrales vont trouver le moyen de m'écarter complètement en me rétrogradant au niveau départemental. Mes trois contrôles s'étaient pourtant révélés très satisfaisants. A l'heure où j'écris ces lignes, je n'ai toujours pas reçu mes rapports d'observations. J'ai écrit au président de la CRA ainsi qu'au conseiller technique régional en arbitrage alors en fonction. Sans réponse.
Ce second débat fût la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Je décide de démissionner. Fier de ce que j'ai accompli car mon père, ma mère et mon frère m'ont toujours encouragé à aller au bout de mes rêves. Le courage, la personnalité, le charisme sont des mots bannis dans le dictionnaire des arbitres de nos jours. C'est pourtant de cette façon que l'arbitrage français a longtemps rayonné dans le Monde. Grâce au génie de Robert Wurtz. Au charisme légendaire de Michel Vautrot. A la personnalité brillante de Joël Quiniou. Comment ne pas citer Gilles Veissière, certainement le meilleur arbitre techniquement sur la scène internationale ? Je n'oublierai pas Alain Sars, Stéphane Bré, Georges Ramos. Leurs carrières auraient mérité un autre sort. Ils ont été victimes de règlements de comptes minables. Tous ont un point en commun qui pour certains a scellé leur carrière : ils ont osé critiquer le système. Aujourd'hui, les arbitres sont de petits soldats soumis à leur direction qui les a transformés en robots aseptisés et friqués pour reprendre les termes de Gilles Veissière il y a quelques années. Ils n'arbitrent pas au service du jeu mais de leurs propres intérêts. L'histoire retiendra que l'arbitrage français est entre les mains d'un ancien arbitre international qui réussit l'exploit de faire arrêter un match amical entre le Portugal et l'Angola en 2001 faute de combattants. La sélection angolaise s'était vue expulser quatre de ses joueurs.
Des rencontres et moments inoubliables
L'arbitrage m'a permis de vivre des moments exceptionnels. Je n'oublierai jamais mon premier match de Promotion d'Honneur que j'ai eu l'honneur d'arbitrer lors de Nousseviller/Forbach 2 en septembre 2010. Comment ne pas citer ce fantastique derby du Bitcherland entre Soucht et Montbronn en DHR disputé devant plus de 800 spectateurs ce samedi 11 septembre 2010. De merveilleuses rencontres. Je citerai un match de PHR à Rohrbach lès Bitche qui recevait Longeville lès St-Avold un 21 mars 2010. Je ne devais initialement ne pas être désigné sur ce match mais le désistement de l'un des arbitres assistants m'a permis de réaliser un rêve : pouvoir arbitrer avec Thierry Clément. J'accompagnais souvent mon père voir jouer l'AS. Montbronn, club phare qui évoluait en Division d'Honneur à l'époque. J'ai eu la chance de voir arbitrer Thierry Clément devant 500, 600 spectateurs au Stade de la Neumatt. Excellent communiquant, pédagogue, humain, il est un exemple à suivre pour les jeunes arbitres. Thierry tient le sifflet depuis 36 ans et a été arbitre Fédéral 4.
Je n'oublie pas les fabuleuses rencontres lors du 90ème anniversaire de mon club, l'US. Goetzenbruck-Meisenthal en août 2018. Je pense à Victoria, Karen, Valentin, Adrien, Yanis, Lucas, Christopher. Des personnes humbles et remarquables animées par la passion. J'ai eu l'honneur d'arbitrer avec Maurice Sammartano, arbitre de haut niveau dont beaucoup devraient s'inspirer. Son charisme, sa forte personnalité, sa parfaite connaissance du football auraient dû en faire un arbitre à l'échelon national. J'ai eu le grand plaisir de côtoyer Antoine, arbitre Fédéral 3 qui s'est fixé l'objectif de devenir ophtalmologue. Il concilie sa carrière d'arbitre de haut niveau et son études universitaire. Son parcours mérite respect et admiration.
Mon blog m'a permis de vous relater l'actualité arbitrale mais surtout de vous faire découvrir les sombres coulisses de l'arbitrage français. Les personnes aux responsabilités continuent leur politique de l'autruche sans avoir de comptes à rendre à leur hiérarchie. Il m'a permis de signer quatre chroniques dans Libération durant la Coupe du Monde en Russie grâce à l'intérêt suscité par Grégory Schneider, chef du service des sports de Libération à qui je porte un profond respect et une grande admiration. J'ai eu le plaisir de participer à une émission sur le thème de l'assistance vidéo sur SFR Sport et d'intervenir sur France Inter et France Info dans le cadre de l'affaire Chapron.
Mais je retiendrai surtout les rencontres exaltantes que j'ai pu faire grâce à la création de ce blog. Urs Meier, ancien grand arbitre suisse qui a notamment dirigé la finale de la Ligue des Champions entre le Real Madrid et Leverkusen en 2002. J'ai passé un moment extraordinaire avec lui en 2016 à Paris. Djamel Haimoudi, probablement l'un des tous meilleurs arbitres du continent africain ces vingt dernières années. Un homme d'une grande générosité et d'une grande gentillesse. Mon ami Georges Ramos, homme en noir emblématique et atypique du championnat de France de D1. Un grand monsieur. Eric Castellani, ancien arbitre assistant international a eu l'honneur de diriger avec Alain Sars une 1/2 finale de Ligue des Champions entre le Milan AC et le Barcelone en 2006. Une personne brillante dont le franc parler st à mettre en avant. Il m'a permis de rencontrer Gilles Veissière, l'une de mes icônes et que je considère comme l'un des plus grands arbitres français ces vingt dernières années. Jean-Marc Rodolphe, un personnage terriblement attachant dont le milieu de l'arbitrage ne voulait pas. Il est le premier footballeur professionnel à s'être reconverti dans l'arbitrage. Jacques Poulain, ancien grand dirigeant de l'arbitrage français. Nos échanges m'ont bouleversé. Stéphane Bré, dont j'admire la personnalité, le charisme, le lien fort qu'il a su créer avec les joueurs. Un homme d'une rare authenticité que j'ai la chance inestimable de connaître. Joris Chapelain, nos parcours se ressemblent. Un chic type qui se dévoue au service du football et de l'arbitrage.
Je terminerai en évoquant mon idole. Je ne l'ai pas vu arbitré dans un stade ni à la télévision. Mais dans l'émission Intervilles. Dans les cassettes du foot en folie. Robert Wurtz est pour moi le plus grand arbitre français. Celui du génie, de la simplicité, doté de qualités humaines, intellectuelles exceptionnelles. Le Progrès, quotidien régional titrait lors d'un match que Robert Wurtz arbitrait à Lyon : "Robert Wurtz se produira ce soir au Stade de Gerland". Robert Wurtz n'était pas un arbitre, c'était un artiste. Je reprendrai un propos de Pascal Praud dans une chronique du Point en 2014 : "pendant des années, l'arbitrage français a évincé les personnalités. Un caractère fort ou un tempérament fougueux ont handicapé les successeurs de Robert Wurtz, Michel Vautrot, Joël Quiniou. Trois noms que le public et les footballeurs n'ont pas oubliés. Trois noms et trois natures différentes. Trois noms et trois divas, mal vus par la hiérarchie parce que les petits hommes gris n'aiment pas quand une tête dépasse". Tout est dit.
Depuis bientôt deux ans, j'ai décidé de continuer de vivre ma passion pour le football et de m'impliquer au sein de l'US. Goetzenbruck-Meisenthal, formidable club situé en Moselle-Est. J'y ai vécu des émotions indescriptibles et inoubliables avec la victoire de notre équipe U15 en Coupe de Moselle en juin 2018. Des moments intenses qui resteront gravés à jamais. Je retrouve des personnes aux grandes qualités humaines reconnaissantes avec lesquelles je m'éclate au quotidien. C'est ça le football, c'est extraordinaire !
Lionel
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